Plantes médicinales et dialogue amical [ Caem ]

Sur ses heures de travail, c’est à l’infirmerie qu’Harlan Riesman passait son temps. Le Rôle d’assistant Infirmier lui confirmait un certain nombre d'avantages auxquels il n’était pas prêt de renoncer. Bien qu’il n’avait pas accès à la plupart du matériel, et encore moins sans supervision, il pouvait faire les premiers diagnostiques, s’occuper des registres, surveiller les patients. Il jouissait d’une certaine liberté que sa rigueur lui avait offert, et il faisait en sorte de ne pas en abuser. Son calme faisait qu’il était dépourvu de chaîne, dans l’enceinte de son lieu de travail. Parfois, il en profitait pour parler avec les médecins, dans les moments où tout était calme. La Cybernétique était un sujet fascinant, et au fond de lui, il espérait qu’on le laisserait y toucher, avec le temps.  En parallèle, il étudiait les pratiques d’urgences, afin de pouvoir aider à intervenir, en cas de problèmes et d’absence de personnel.  Il savait que son rôle ne dépasserait jamais celui d’assistant, et que les cas les plus graves étaient conduit au secteur 5, mais il aimait à penser que plus il en savait sur le métier, plus on pourrait lui accorder une certaine forme de confiance. Et parfois c’était le cas. Comme à cet instant. Il demeurait inconditionnellement un surveillant qui le surveillait lui ainsi que le malade dans le lit, un peu plus loin. Harlan renseignait les différents médicaments qui lui avaient été prescrits, ainsi que les conclusions du médecin, avant que la porte d’entrée de l’infirmerie ne s’ouvre. Son regard se posa sur le rouquin qui passait la porte et son sourire s’étira finement et poliment. Sur un visage comme le sien même un tel sourire pouvait avoir l'air inquiétant entre son visage creusé par la vieillesse, la cicatrice qui le traversait ainsi que l'oeil cybernétique qu'on lui avait installé.

“Bonjour Monsieur Sullivan.” le salua le détenu en se levant de son siège par politesse mais aussi pour montrer qu'il était disponible. Il ne fit cependant aucun geste de plus, l'une de ses mains restant en contact avec le poste de travail sur lequel il était concentré jusqu'ici. Harlan avait retenu le nom de l'employé des quelques fois où ils s’étaient croisés, depuis qu’il avait pris ce poste d’assistant.
“Le Docteur Grimes et le Docteur Carter ont dû s'absenter. Si vous me le permettez, je peux peut-être vous aider ou bien prendre un message ?”

Bien que ce n'était pas la première fois qu'ils se croisaient, Harlan savait que son statut de détenu pouvait intimider. Pour ne pas l'effrayer ou le mettre mal à l'aise, il choisissit de rester en retrait et de ne pas s’approcher de Caem sans un consentement explicite tout en gardant son calme habituel.

Caem avait débarqué avec l'enthousiasme d’un enfant qui souhaitait montrer à ses parents les derniers travaux qu’il avait accompli à l’école, sa meilleure note, son plus beau dessin. C’était un spectacle qui manquait à la micro société que composait la vie sur la station, ce genre d’élan de joie. La comparaison  pouvait même être poussée encore plus loin, si l’on tenait compte des jolies fleurs azur qui ornaient ses cheveux. Harlan en était presque désolé de ne pas être celui qu’il s’attendait à croiser.  Le changement soudain d’expression comme de ton de son interlocuteur ne laissait aucun doute sur son malaise face à la situation. Pourtant, leurs liens étaient loin d’être hostiles, comme en témoignait la façon dont Caem l’appela par son nom de famille. Cette simple attention lui tira un léger sentiment de satisfaction notable. Après tout, être traité comme un être humain plutôt que comme un numéro avait quelque  chose d’appréciable.

“Vous ne dérangez rien, ne vous en faites pas.” affirma l’homme en dégageant une partie du bureau pour qu’il puisse y poser ce qu’il transportait. Son regard se posa ensuite sur le lit ou l’idiot qui s’y trouvait n’avait pas bronché.

“Un léger traumatisme crânien. Il faut surveiller qu’il ne dégobille pas, mais il n’y a vraiment rien d’inquiétant, pour le moment.”

Harlan le laissa arriver jusqu’à lui et il jeta un oeil au carton ouvert qui était désormais sous ses yeux. Il devait avouer qu’il était plutôt curieux de voir pourquoi Caem avait été si impulsif en entrant. Une partie de lui songeait que cela devait vraiment valoir le détour. Après tout, c’était à ce surveillant que l’on devait la ferme Aquaponique de la station.

“ Monsieur Sullivan ? Je vous en prie, permettez vous de me déranger, ma journée est vraiment légère et maintenant que vous avez commencé, la curiosité me ronge.”

Il l’invita à prendre place avec lui, lui rapprochant l’une des chaises pour qu’il puisse s’installer avec lui et qu’ils puissent être à l’aise, pour échanger.  

“ En quoi consistent ces échantillons, exactement ? Vous les avez réalisés avec les plantes médicinales des jardins, c’est bien ça ?”

Poser des questions, montrer que l’on s’intéresse à l’autre, c’était la base de toute conversation saine. Qui plus est, Harlan était sincèrement intéressé par ce genre de choses. La création, dans toute sa splendeur, était une chose qu’il appréciait tout particulièrement.

Harlan reprit sagement sa place aux côtés de l’homme désireux de lui montrer ses créations. Il était curieux de voir ce que l’employé était si pressé de montrer à ses encadrants.  Il l’observa vider le carton qu’il avait apporté et observa le contenu visible des bocaux, sans toutefois y toucher, pour ne pas risquer de perturber l’homme qui se tenait à ses côtés. Ils étaient proches, mais pas suffisamment pour inquiéter le garde. Le détenu, tout détenu qu’il était, n’était pas assez stupide pour risquer sa place ici en s’en prenant à un membre du personnel. Il ne faisait pas partie des violents. Officiellement du moins. Harlan était un homme calme. Azure avait parfois les traits d’un monstre aux yeux du monde. Mais à cet instant précis, il n’était qu’un homme sincèrement curieux des découvertes qu’on venait lui présenter.

“Malheureusement, je ne suis encore qu’un néophyte avec de nombreuses lacunes dans le domaine, contrairement à vous, Monsieur Sullivan.” affirma respectueusement le détenu lorsque l’employé chercha à se renseigner quant à ses connaissances, concernant les plantes.

Lorsque les gommes lui furent présentées, Harlan se pencha légèrement, pour observer et sentir le contenu du bocal. Les vertues étaient plutôt intéressantes, il devait bien l’avouer, et le voir vouloir se passer des détails lui arracha un sourire.

“Si vous souhaitez aussi partager la façon dont vous les avez conçus, c’est avec plaisir que je vous écouterais.  Mon domaine se situe davantage dans l’informatique, mais la façon dont les problèmes sont résolus est les processus pour parvenir au résultat désiré est toujours intéressant. Peu importe la nature de la recherche.”

Caem se souciait de ce dont ils pouvaient avoir besoin, à l’avenir, cela se sentait. C’était important, de voir des personnes aussi motivés ainsi. Et soyons honnête, cela lui plaisait. Il continua d’observer les pots avec curiosité, ne relevant les yeux sur l’homme que lorsqu’il lui demanda son avis.

“Je trouve la démarche excellente, Monsieur Sullivan.” commença Harlan, d’une voix rassurante. “Vous vous êtes donné beaucoup de mal, et ça a payé. J’espère que le Docteur Grimes et le Docteur Carter pourront les intégrer dans les protocoles de soins.”

Dans le cas contraire, Harlan était persuadé qu’ils pourraient tout de même trouver preneur au sein de la prison, peut-être par des voies moins officielles.

“Vous avez raison de ne négliger aucune probabilité. Si nous nous retrouvons coupés du monde extérieur, il faut que la station puisse subvenir à ses propres besoins. C’est vraiment agréable de voir que quelqu’un comme vous travaille en ce sens. Vous avez de très bonnes initiatives, tout comme avec la ferme aquaponique que vous avez mis en place.”

C’était un compliment sincère qu’il lui faisait. Il lui offrait les paroles d’un homme qui avait eu tout le temps d’observer les changements que Caem avait pu apporter depuis son arrivée. Ils ne s’étaient que peu croisés, et n’avaient que peu parlé jusque-là, mais il était évident qu’Harlan s’était intéressé à son travail naturellement, et qu’il en appréciait le résultat.

Harlan avait été.. plus qu’un simple informaticien.  Il avait été un Hacker qui avait révélé des secrets d’états. Si sa place à Rikers avait été méritée, certains avaient pu trouver la peine qui lui avait été infligée trop lourde par rapport à ce qu’il avait réellement fait. Cependant, il fallait toujours faire des exemples, pour dissuader les gens de reproduire les crimes qui étaient commis.  Si Harlan n’était pas mauvais en arrivant à Rikers, il avait du le devenir, par la force des choses. La perte de son oeil en était un parfait exemple. Ce genre d’agression n’arrivait plus si l’on avait peur de ce que lui, et ses précieux Walkers pouvaient faire en représailles. Mais les conflits internes aux détenus étaient bien loin des relations qu’il souhaitait établir, avec le personnel de la prison. Tant qu’ils ne représentaient pas un danger, il préférait les traiter comme il se devait, surtout lorsqu’il était sincèrement intéressé, comme c’était le cas, à cet instant précis. Caem méritait largement le regard qu’il pouvait poser sur lui, et l’intérêt qu’il exprimait, à l’égard de ses activités, était tout sauf factice. Les conflits entre les détenus n’avaient rien à y faire.

“Oui je l’étais.. J’étais vraiment passionné par ce domaine.” pour ne pas dire obsédé. Et il l’était toujours. Après tout, Rikers, et la complexité de l’IA qui s’y trouvait était un défi délicieux à ses yeux, surtout avec la précarité du matériel auquel ils avaient accès. Il lui arrivait de bidouiller sur les machines de l’infirmerie, lorsqu’il en avait l’occasion, et que certains étaient prêts à fermer les yeux, mais il ne voulait pas non plus risquer sa place.

“Si jamais vous ne pouvez pas vous adressez à vos collègues pour obtenir un avis extérieur, dans ce domaine, sachez que vous pouvez toujours me demander si vous bloquez sur quelque chose.”

Il n’avait pas nécessairement besoin d’avoir accès à la machine pour pouvoir visualiser d’où pouvaient venir certains problèmes, et s’ils demeuraient sous la surveillance d’un garde, il supposait que corriger quelques lignes de codes, et observer quelques maquettes ne poserait aucun souci.

L’inquiétude de Caem, face à la possibilité d’être coupé du monde, crevait les yeux.. Mais Harlan afficha un air plutôt rassurant pour tenter de l'apaiser.

“Tester ces inventions dans une société restreinte, à l’image de la prison, avant de l’appliquer aux colonies est un excellent moyen de prouver que vos machines et vos théories fonctionnent. Vous pourrez vous servir de ces expériences pour déposer des brevets et pour monter des projets de plus grandes envergures. C’est une excellente stratégie… Et je serais ravi d’en connaître davantage sur le bien que vous comptez continuer d’apporter autour de vous, Monsieur Sullivan.”

Plus difficilement accessible. C’était un doux euphémisme pour une chose qu’il n’était plus censé toucher de façon officielle. Pourtant il y avait toujours des rumeurs. Harlan avait parfaitement conscience que le personnel n’était pas totalement aveugle quant à ses activités. Il suffisait de l’observer à l’extérieur, entouré de ceux qui avaient du bleu sur leurs chaussures. Un message subtil, pour ceux qui les observaient. Un lien physique qui les reliait. Si Caem avait été un détenu.. Harlan n’avait aucun doute sur le fait qu’il aurait voulu préserver cette flamme et cette créativité qu’il voyait chez lui. Il avait le bon profil, sans mauvais jeu de mots.  Mais jamais il n’aurait souhaité que cela lui arrive. La vie de détenu finissait toujours par changer les gens, profondément. Lui même était devenu une toute autre personne. C’était aussi pour cela qu’il chérissait ces rares moments de normalité. A cet instant précis, il n’était qu’un passionné dialoguant avec un autre passionné. La saveur de ce moment était particulièrement douce, et il ne l’aurait échangé pour rien au monde.  

“....Effectivement, si vous rendez obligatoire la consommation d'insectes au détriment de la viande, beaucoup risquent de désapprouver. Néanmoins, je pense que vous pourrez trouver aisément quelques volontaires si vous présentez les choses de la bonne façon. La transition peut aussi se faire en proposant des avantages, par exemple, à ceux qui choisissent de consommer des insectes de leur plein gré.. Comme des crédits supplémentaires ou un peu plus d’eau chaude dans les douches ou encore un peu plus de temps libre à certains moments... Ce serait un moyen d’habituer progressivement l’ensemble de la station. Les détenus sont prêts à accepter beaucoup de choses, si on sait comment leur parler..”

Puis, Azure savait parfaitement que certains qui arrivaient sur Rikers avaient connu la faim. Ceux là ne cracheraient pas sur la nourriture, peu importait sa forme. Les plus difficiles à convaincre seraient sans doute les Némésis, trop habitués au luxe  de leur vie précédente.

“Ne fermez pas votre créativité sous prétexte que nous sommes dans une prison, Monsieur Sullivan. C’est souvent dans la contrainte que naissent les meilleurs projets alors sentez vous libre d’expérimenter. C’est ainsi que l’humanité a toujours avancé.. Et vous avez la chance d’avoir des ressources pour le faire. Ce serait idiot de vous en priver.”

Harlan le pensait, et il avait hâte de voir la créativité de Caem à l’oeuvre. Il ignorait combien de temps le contrat de ce dernier durerait, sur Rikers, mais cette flamme qui brûlait en lui était une chose qu’il voulait continuer à observer tant qu’il serait présent.

“Je vois parfaitement, pour les plantes.. Je suis certain que des détenus adoreraient pouvoir en avoir, et s’en occuper. C’est le genre d’activité qui a souvent un effet positif sur les prisonniers.”

Il ne pouvait que le rejoindre quant à sa remarque sur le temps.

“C’est à cela que l’on reconnaît les génies, Monsieur Sullivan. Leur cerveau est constamment en ébullition. Sachez que j’ai hâte de découvrir tout ce que le votre a à nous offrir..”

Dans cette micro société que représentait Rikers, chaque grand esprit se heurtait au plafond de verre que représentait la hiérarchie. Harlan avaient bien conscience que chercher à passer outre ce qu’ils désiraient pouvait représenter un danger. Lui et son groupe oeuvraient pourtant à contre-courant, à agir lorsque personne ne regardait. Ils maîtrisaient certains flux d’information, et cherchaient à se créer une certaine forme de liberté dont ils étaient les seuls maîtres.  

Il comprenait les angoisses du plus jeune, il eut l’ombre d’un sourire peiné, en l’entendant dire cela.

“Vous savez Caem, si votre projet est suffisamment solide, ils ne pourront pas le refuser.. vous devez simplement leur faire croire que cela leur sera bénéfique et sous entendre qu’une partie de ce projet viendrait d’eux. Vous devrez peut-être renoncer à une partie de la gloire.. mais c’est parfois le prix à payer pour permettre à vos idées de vivre et de vous dépasser. Tentez. Et même si vous échouez.. Vous inspirerez peut-être les prochains et vous ressentirez la fierté d’avoir osé.”


Puis, à la question plus personnelle qui lui fut posée,  le sourire calme de l’homme s’élargit un peu plus.

“J’ai toujours eu un faible pour les Amaryllis. Alors oui. Je suppose que si j’avais une plante dans ma chambre, j’en prendrais grand soin.”

C’était amusant de le voir s’agiter à la simple évocation du mot “génie”. Harlan ne revint pourtant pas sur ses paroles. Il le pensait. Il savait aussi que la plupart du temps, les gens réellement intelligents avaient tendance à ne pas reconnaître l’étendue de leur capacité et encore moins la qualité réelle de leur travail.

La bienveillance qui transparaissait du roux était belle. Sa présence avait quelque chose de particulièrement reposant.. Encore plus lorsqu’il lui demanda comment améliorer le bien être des détenus.

“Des temps de douches légèrement plus longs seraient appréciables. C’est un sujet qui provoque beaucoup de tension et d’abus, au sein des détenus. Généralement les plus faibles se font agresser parce que les plus forts désirent quelques minutes d'eau chaude supplémentaires.  Bien évidemment, je suppose que cela constitue un problème de logistique plus qu’autre chose.. Néanmoins, les douches sont un réel problème pour tout nouveaux arrivants un peu frêle.”

C’était ironique, lorsque l’on y pensait. Lui-même s’était servi de ces mêmes douches, et de cette même violence pour faire cuire l’un de ses camarades d’infortunes. Mais il n’éprouvait aucun remords. Après tout, ce type l’avait bien cherché.

“J’apprécie la suggestion, sincèrement, Monsieur Sullivan. Mais ici, j’ai la sensation de pouvoir être utile, à ma façon. Et au vu de ma.. Condition…” Sa main avait remonté pour toucher sa pommette, sous son oeil mécanique pour lui indiquer de quoi il parlait.  “Je préfère rester auprès du Docteur Grimes. Un travail admirable a été accompli mais il demeure parfois des complications. Et Je ne me vois pas laisser un détenu non formé prendre la place que j’occupe. Cela pourrait mettre l’intégrité de cette infirmerie en péril..Vous comprenez ?”