But my smile still stays on - Wolfgang E. Ice

Celui qu'on a surnommé Epsilon est réputé pour ne pas avoir d'émotions. Depuis petit, il n'a jamais manifesté d'empathie naturellement. C'est en regardant les autres qu'il a appris qu'il fallait sourire pour obtenir ce qu'on voulait. Qu'il fallait dire et promettre certaines choses pour inspirer confiance. Les sentiments positifs lui sont parfaitement étrangers. Mais il dit et fait ce qu'il faut pour être apprécié. Même si on ne le surprendra jamais à sourire, en dehors d'une situation de victoire ou d'ironie évidente qui l'amuse.

Ce qui l'a sauvé, c'est sa soif d'apprendre infini et sa mémoire exceptionnelle. Il a pu montrer son utilité ainsi. Apprendre des langues étrangères, des notions de mécanique, retenir tous les détails pour créer une stratégie impeccable fait partie de son quotidien. Il observe, retient, écoute. Quand on laisse parler les gens, on apprend tellement sur eux. C'est facile d'appuyer sur leurs points faibles après pour les écarter du chemin. Enrobé le tout d'une fausse amabilité parfaitement mise en scène et Wolfgang découvrira toujours ce qu'il veut savoir.

Aujourd'hui, il est rongé par l'angoisse qui l'empêche de dormir et lui donne des aigreurs d'estomac. Aurait-il des remords ? Il ignore la peur, il pensait y être immunisé depuis bien longtemps. Mais allumer un briquet sous son nez et il deviendra livide. Les brûlures sur son corps en témoignent, il a associé le feu à une punition cruelle. Mais aussi à des jeux sexuels dégradants qui lui retournent complètement le cerveau. Le sexe est un exutoire qui lui permet de ne pas exploser. Seulement c'est toujours délicat de se laisser aller avec la bonne personne. Survivre ici est un enjeu de tous les instants pour lui. Ce n'est jamais le bon moment pour céder à ces pulsions primitives.

Le voilà menotté, dans sa combinaison orange et le regard sur le sol dissimulé par le reflet de ses lunettes. Wolfgang est un homme anéanti. Les choses sont allées si vite. Jamais il n'avait voulu tout ça. On l'accompagne jusqu'à la salle des vidéos. Il en a reçu une de sa femme. Il ne veut toujours pas croire en ce qui s'est passé et il attend beaucoup de cette visio-intergalactique. Qu'est-ce Giovanna allait bien pouvoir lui dire ? Une explication ? Pleurait-elle sa condamnation, son départ ? Il s'était marié pour le meilleur et pour le pire après tout. Ils étaient les Bonnie & Clyde moderne et ils étaient si heureux ensemble.

Du moins c'est ce qu'il croyait.

On le pousse lourdement sur la chaise et la vidéo s'enclenche au moment où le surveillant ferme la porte. Être un peu seul. Voilà qui n'est pas de refus. C'est bien elle et il lève les yeux enfin pour tenter de reprendre contact avec la réalité. Sauf qu'elle n'a pas du tout l'air triste ou déçue. Voilà une jolie blonde rayonnante, un sourire carnassier sur les lèvres, qui se met à se bidonner comme si on venait de lui raconter la blague du siècle. Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Et c'est bien sa voix qui s'adresse à lui. Dénouée de toute sa douceur habituelle.

Elle est si glaciale. Si cynique. Et là, devant ses yeux, il comprend qu'il n'a été que le dindon de la farce depuis le début. Lui l'enfant raflé par les Exterminateurs, un peu plus doué que les autres qui a été pris sous l'aile du boss des boss nommé GoldFires. Il aura mis du temps à comprendre à quel point le gang était bien organisé. On enlève les malheureux dans les bidonvilles, pour que personne ne s'inquiète de leurs sorts. Les enfants apprennent à voler au sein de colonies qui leur sont inconnus. Ceux qui démontrent des talents particuliers sont mis de côté pour être vendu au plus riche en temps qu'esclave. Les autres sont vendus comme prostitués, main d'œuvre pas cher et ceux qui restent... deviennent des corps dont les organes valent plus cher pour baigner dans d'autres trafics. Et le tout dans un vaisseau clandestin, hors-la-loi, en dehors des radars, financés par les plus riches souhaitant soumettre un peu plus le monde à leurs pieds dans le dos du gouvernement.

« Epsilon », lettre grec de l'infiniment petit, est le nom qu'on lui a donné pour lui rappeler son infériorité. Il est toujours resté un colon, un moins que rien, le prostituée personnel de GoldFires. Mais il était l'un des rares à ne pas avoir été vendu ailleurs. Son regard glacé et dénué de peur aillant plu à la personne la plus influente. Giovanna l'a détesté si fort au début. Jalousait-elle l'intérêt que son père lui portait ? Très intelligent, il se démarquait par ses remarques brillantes, ses nouvelles stratégies de cambriolage pour dépouiller les plus riches colons d'un côté, kidnapper leurs enfants contre rançon et que le gang s'enrichissent au mieux, sans que la haute société terrienne ne soit jamais inquiéter et éviter les ennuis. Elle a fini par changer de regard sur lui, par l'accepter et par le séduire. Etrange revirement mais après plusieurs années, Epsilon a accepté de l'épouser.

Le mariage a été une fête rassemblant une bonne partie de la pègre intergalactique et c'est lors de cet évènement que le nouveau membre de la famille dirigeante des Extracteurs rencontra Azure. Ce personnage l'a intrigué et bien qu'il ne s'y connaisse qu'assez peu dans le hacking, il lui a donné sa carte avec un clin d'œil en précisant qu'un jour peut-être, ce serait utile. Epsilon l'insignifiant a tout de même une réputation qui le précédait. Parlant plusieurs langues pour le plaisir, élaborant des plans contournant tous les pièges des autorités, chaque mission qu'on lui confiait était une réussite et Giovanna finissait par s'occuper de son propre réseau de maisons closes, ce qui ne lui plaisait pas du tout, alors que son cher mari recevait toutes les éloges. Seulement un évènement allait tout faire basculer au sein du gang, en apparence si solide, des Extracteurs.

Goldfires fut assassiné.

Comment ? Pourquoi ? Par qui ? On accusa son nouvel esclave personnel au sein du clan et il fallait désigné un nouveau chef. Epsilon ne s'attendait absolument pas à être poussé au sommet de la sorte. Sa femme ne voyait que lui, assez intelligent pour reprendre son rôle, sans informer les autres clans qu'il avait été assassiné. Il fallait déguisé sa mort. Pour ne pas faire paniquer tout le monde. Pourtant, il a toujours su que Giovanna voulait ce rôle. Elle refusait en bloc. Il avait la confiance de son père. Alors il devait le faire. Elle l'a pourtant cru si sincère. Jusqu'à ce que ce qui allait être son dernier cambriolage se transforme en véritable fiasco. Les autorités étaient là, il a été arrêté et on l'accusait de tout. Dans les moindres détails. Et de surtout beaucoup de choses dont il n'avait jamais été personnellement responsable.

Il avait été piégé. Purement et simplement. Et la coupable riait dans la vidéo face à lui.