Et si j’avais décidé que tout ce qui va suivre est faux ? Inventé de toutes pièces ? Oh, vous savez, j’ai pas de remord à coudre ma propre vie dans tous les sens. Alors…on va faire un deal : à vous de retrouver ce qui est vrai, et ce qui est faux ! Je suis sûr que ça va être amusant !!!!!!
- Inceste:
Quand j’avais neuf ans, ma mère m’a rejoint un soir alors que je venais de me coucher. C’était ma mère, c’était normal qu’elle dorme avec moi, que je dorme avec elle. Pas ce qui a suivi. J’ai compris tout de suite qu’on ne faisait pas ça entre mère et fils, qu’elle outrepassait une limite très nette et précise de l’humanité « quand elle se conduit bien ». Je n’ai pas crié, j’ai fermé les yeux et j’ai attendu que ce soit fini. Elle a quitté la chambre tard et je suis resté dans le noir, seul, glacé, en sueur, effrayé, tétanisé. Tout était à la fois clair et flou. J’étais perdu et j’avais compris. Je n’ai pas vomi, j’ai tout avalé, tout digéré, tout gardé.
Aujourd’hui je n’en parle pas, seul mon avocat savait, que ma mère a abusé de son petit garçon.
C’est chouette hein ?! ALLEZ on continue !
J’ai toujours su que ça se manifesterait, d’une manière ou d’une autre. Je veux dire que ce que j’avais vécu m’avait changé et que j’attendais juste de voir quelle forme prendrait ma rébellion intérieure. J’étais curieux de moi-même, mon propre sujet d’expérimentation. Je provoquais des situations sensibles pour voir si quelque chose se déclenchait, des disputes, des bagarres, des accidents. Mais j’étais déçu que rien ne prenne. Terreau infertile et inutile que j’étais. Jusqu’au jour où j’ai, après avoir suivi des miaulements pendant une bonne dizaine de minutes, déniché un chat englué dans de l’huile de vidange. Impossible de déterminer sa couleur d’origine, et ses yeux étaient tout collés, de même que son poil qui lui donnait des airs de rat famélique. Sans gants, je l’ai sorti de là en lui parlant pour le rassurer, pour qu’il n’ait plus peur et qu’il fasse confiance au môme de douze ans que j’étais. Ce n’est pas vraiment par amour des bêtes, mais plus pour me laisser le temps de comprendre comment il était tombé là-dedans. Le garage était immense et vide à cette heure ; quand on est petit, on peut se faufiler par une trappe ou une fenêtre mal fermée. Et puis il y avait quelque chose d’autre, quelque chose de nouveau et qui dormait en moi depuis deux ans déjà. Ça s’est réveillé, ou plutôt ça s’est
animé. Le chat poisseux sous le bras, j’ai dérivé vers un chalumeau posé sur un établis. Bel engin, je m’en rappelle encore, et surtout et très précisément du bruit de la flamme bleue qui a jailli et grillé un moucheron qui passait là.
Le lendemain, aux informations, on déplorait la disparition du garage
« Bembo4 » dans un incendie probablement dû "à un dérèglement du système électrique".
J’ai eu ma première érection au bout de trois feux. J’avais quatorze ans. C’est l’incendie qui déclenche ça : cet état d’extase, de jouissance infinie qui monte, qui monte, qui monte…. Ahhhh, si haut ! Qui peut dire avoir connu un tel brasero ? Ce sont des orgasmes paroxystiques.
Au début, je m’en tenais à quelques-uns et puis au fil des années la fréquence a augmenté drastiquement, au rythme d’un besoin exponentiel.
Brûler. Brûler. Brûler.Je vous raconte ça très calmement, mais l’évocation du feu suffit à m'exciter, même sous forme de métaphore.
Il y a eu des périodes plus calmes. Deux ou trois ans de flambées plus mesurées pendant que je bossais dans un grill à faire rôtir des poulets, des pièces de bœuf et de mouton toute la journée, et même une bonne partie de la nuit parfois. C’est là que j’ai découvert combien la viande cuite avait une odeur remarquablement subtile ; une autre forme d’extase. Je ne quittais pas les fourneaux, jamais.
Et puis j’ai recroisé ma mère.
Je ne sais pas, elle passait juste. Ça m’a fait un électrochoc, d’autant qu’elle ne m’a pas regardé.
Elle. ne m’a. pas. regardé. Je me souviens qu’un collègue m’a demandé ce que je faisais avec la bombonne de gaz en partant, et avoir répondu précisément que je n’en avais plus chez moi. Mais je n’allais pas dans ce que j’avais encore envie d’appeler « chez moi ». C’était chez elle. Et j’ai attendu qu’elle soit dans son lit, qu’elle s’endorme, égrainant les heures sans sourciller, docilement. J’aurais pu attendre toute la nuit comme ça. Pénétrant sans bruit, comme un chat noir, j’ai dégoupillé la bombonne dans sa chambre, et j’ai attendu qu’elle se vide suffisamment, laissant une excitation indicible me gagner.
En sortant, je n’ai eu qu’à envoyer le jus dans sa chambre via le compteur. Rien qu'une minuscule et insoupçonnable étincelle, équilibre parfait entre oxygène et propane. Ça a été grandiose. Dans l’explosion, j’ai hurlé, hurlé jusqu’à ce que ma langue soit sèche : tout est sorti, tout est parti.
J’ai le souvenir d’avoir ri à gorge déployée pendant une heure après ça, sans parvenir à me calmer.
La Zoubritskaïa ? C’est eux qui m’ont trouvé, sur une vieille colonie. Ils ont flairé mon sang moldave et puis n’ont eu qu’à suivre les cendres et les traces d’essence. A l’époque ils étaient pas trop regardants sur « qui », « quoi », « où », « comment », et ils avaient besoin d’un incendiaire. Ma réputation me précédait, et j’étais flatté de trouver enfin un milieu qui ne chercherait pas à me mettre une laisse et à me faire aller dans le droit chemin. Soulagé de pouvoir arrêter de changer de planque tous les mois.
Leur chemin était une route qui visait à devenir une autoroute, et ainsi de suite. J’aurais toute la place pour étendre mes ailes. Leur spécialité : disparaître et semer les chiens des gouvernements. J’étais le seul avec les cheveux longs, et j’ai préféré donner un doigt et un orteil pour entrer que de me raser la boule à Z.
Vol, trafic, meurtres, répression, attentats, leur publicité faisait envie. Il fallait pas déconner avec les plans, mais j’ai vite pris la main. On était des jeunes loups, on sortait en meute, j’étais l’extrémité de cigarette toujours allumée qui marchait devant avec un jerricane et un Zippo. Ça a été le pied, cette demi-vie.
- Violences:
Tout le monde sait ce que c’est qu’un syndrome de Stockholm ? Ok, je trace alors. Nastia, c’était ma petite prisonnière. Une otage, la fille d’un type qui voulait pas plier, je me rappelle plus trop de lui. Mais ELLE, si. Farouche comme une biche, des yeux noirs comme des fours, sitôt que j’ai posé le regard sur elle j’ai été pris. Pas spécialement belle, des hanches bien larges qui donnaient faim, elle se laissait prendre par derrière. D’abord en se débattant, puis elle a fini par y trouver du plaisir. On baisait dix fois par jour. A cette période, mon feu était ailleurs, je le stockais dans ses reins solides. Je crois qu’elle avait un côté délogé du ciboulot comme moi car elle m’a dit plusieurs fois qu’elle m’aimait, et on remettait ça. Je ne savais pas ce que c’était que l’amour, je ne pense pas que je le sache plus aujourd’hui, mais c’était une forme de combustion qui me satisfaisait. Jusqu’au jour où Nastia a fauté. Sa situation d’otage avait évolué après qu’elle ait lâché quelques bons gros renseignements sur son père, et elle traînait dans les locaux avec les autres Zoubrit, au point que je l’ai trouvée à genoux dans les chiottes en train de sucer Volodia.
Là, j’aurais voulu qu’elle meure sur le coup.
Volodia n’existait pas dans mon champ de vision. Il n’y avait qu’elle et sa bouche et son corps mensongers. Je me souviens distinctement l’avoir attrapée par les cheveux, qu’elle a gémi, imploré, s’est excusée. Je l’ai traînée dans le couloir, puis un autre couloir, puis un sas et l’ai jetée dans la cour où on fumait. Des touffes de cheveux blonds dans la main pendant qu’elle sanglotait, défroquée. Je lui ai dit que j’avais brûlé ma mère, que ça ne me posait aucun problème de recommencer. Avec elle. Éliminer une autre femme. Au fond, la tentation d’une nouvelle immolation après autant de temps était alléchante au possible. Si, à ce moment précis, elle s’était tenue tranquille sans chouiner, elle vivrait peut-être encore ? Pauvre fille, elle s’est ruée à mes pieds. Alors je me suis penché doucement après m’être allumé une cigarette qui m’a fait un bien fou, et j’ai soufflé longuement ma fumée sur son visage avant de l’embrasser avec la langue. Elle a cru à sa rédemption, avant que je ne pose le mégot contre sa toison dorée et que celle-ci ne prenne feu. Je n’ai jamais revu un aussi beau visage brûler. Sans doute que les excitants y étaient aussi pour quelque chose.
J’ai toujours admiré béatement les hommes, sans jamais oser les approcher. Jusqu’à Volodia. C’est bizarre hein ? De coucher avec le type qui couchait avec mon ancienne nana ? C’est lui qui m’a fait comprendre pourquoi. C’est ce qu’ils dégagent, leur aura puissante, le feu qui navigue sous leur peau, dans leurs veines, un feu que je ne peux pas maîtriser celui-là, semblable au mien.
Nastia était un catalyseur, Volodia a été un détonateur.
Qui est Kentin. Oh pardon ! Qui est Kentin ? C’est le petit nom que j’ai donné à l’œil qu’il me manque. Pourquoi ne pas nommer ce qui n’est plus ? Pourquoi pas. C’est le nom de mes douleurs fantômes. Son nom à lui, Kentin. Si vous saviez, j’étais simplement et gentiment sorti faire un peu de repérage et fumer tranquillement ma ribambelle quotidienne de clopes, quand je suis tombé nez à nez avec un gamin à l’air ahuri. A mon habitude, j’ai souri, l’ai invectivé – gentimeeeeent - pour savoir ce qu’un « clodo » faisait sur le territoire de la Zoubritskaïa et la tension est montée. J’adore ça, j’ai donné le premier coup. Électricité dans les poings, ça décoiffait. Jusqu’à ce que des aboiements ne retentissent. Le clodo avait un cabot. J’en garde de belles traces de morsures, bien profondes, sur les deux avant-bras, et une sensation douce-amère d’intérêt et de vengeance mêlés envers ce gamin.
Sans mauvais jeu de mots : ça a mis…le feu aux poudres. HA HA HA HA HAAAA ! Je suis con.
Les Zoubrit éliminent toujours ce qui traîne chez eux. C’était sans compter que le fameux Kentin fasse partie d’un clan adverse qu’il a rameuté pour éviter de passer à la casserole tout seul – casserole, feu, tout ça, on s'marre. J’ai perdu un œil au combat, le gauche ; d’abord crevé, puis arraché salement, et gobé sous mes yeux par l’intéressé. Je crois que ce dont je me rappelle le plus, c’est de mon hébétement, plus que de la douleur lancinante qui a failli me faire perdre connaissance, plus que la tiédeur du sang qui coulait sur mon visage, souillant mes fringues. Si je retombe un jour sur lui… comme dit le proverbe :
« Jamais deux sans trois ! », je sais pas qui mangera qui.
Ah, douce Rikers. Sacrée putain pour les crasseux, les déphasés, les immortels génies du mal, de la peur et du vice. C’était prévisible que j’échouerais tôt ou tard dans une boîte de conserve. J’avais envisagé voler encore un peu de colonies en colonies avant qu’on stoppe ma course à coup d’antipsychotiques et de stabilisateurs d’humeur. Il faut croire qu’ils ont très peur de moi là-dedans. Au point que je suis suivi de manière hebdomadaire par un type qui croit me connaître et veut me guérir. La thérapie proposée est la suivante : on me construit des activités susceptibles de m’éloigner de mes pulsions et visant à canaliser mon comportement impulsif. OK. BONNE CHANCE LES MECS.
Si vous visualisez des coloriages et du yoga, vous êtes pas loin de la réalité. C’est de la connerie, ça me fait rire et ça me désole à la fois qu’ils aient si peu d’imagination, et accessoirement rien compris du tout à mon œuvre. Parce que je sais que je suis pourri, tombé par terre il y a bien longtemps. Les pommes tavelées ne remontent jamais dans l’arbre.
J’aime mener le psy’ en bateau, m’inventer, me réinventer, répondre à des questions par des questions ; ça participe à tromper l’ennemi, lui donner ce qu’il veut et garder les meilleurs morceaux pour moi. Même si mentir est un jeu dangereux – enfin bon il y a longtemps que je le pratique.
J’ai pas raconté ça encore ? Comment j’y suis arrivé ? Merde, c’était peut-être bien pour un incendie plus gros que les autres, ou alors une flambée de rien du tout. Quelque chose qui n’avait rien à voir avec les Zoubrit, quelque chose qui avait juste à voir avec moi et ma détermination farouche et indomptable à semer le chaos. Le grand Désordre. Tester…les limites. Ce que je fais depuis toujours.
S’attaquer aux locaux de la SEDNA Corp était probablement la marche de trop dans l’escalier de mon ascension. On pourra pas me reprocher d’être resté les mains dans les poches !
Il a fallu des mois pour tout planifier. Endroit bien gardé, trèèèès bien gardé. Faux papiers. Usurpation de l’identité d’un gardien envoyé au placard. Infiltration. Je n’avais pas beaucoup de temps pour agir, chaque zone semblait plus à même encore que la précédente à accueillir au mieux le feu que j’allais faire naître, qui allait jaillir et tout emporter, à l’aide de délicats explosifs. Jusqu’à cette salle de contrôle. Jusqu’à ce que je réalise l’envers du décor, que j’avais sous les yeux un des plus grands fiascos de ce millénaire…et que j’éclate de rire. Les premières détonations ont commencé à retentir, puis une sirène et le vacarme des démineurs et du personnel de sécurité. Aujourd’hui, je continue de me dire, ironiquement, que c’est mon rire qui m’a trahi, et les cendres de ma cigarette tombées sur le panneau de contrôle. Ils m’ont serré, et je riais, je riais car je savais qu’ils allaient me descendre. Que c’était la fin.
Bah ça ne l’a pas été et sur ce point ils m’ont troué le cul. Bien sûr, il était hors de question pour eux de me laisser traîner dans la nature ou dans une prison – une « PRISON » - banale. L’idée, c’était de m’avoir à portée de main, et mon avocat a pu essayer de plaider toute la folie du monde, ceux de Rikers ont jugé que ce que je savais devait rester entre leurs murs. Et me réduire au silence aurait été un aveu trop important.
Alors j’ai passé ce que j’appelle le « sas », et je suis resté pendant des mois en observation, loin des autres détenus après mon « réveil » chez eux.
Observation, isolement, observation, isolement.
J’appelais ça la « balançoire ». Quelques départs d’incendies à droite à gauche pour faire chier, pour le plaisir quand j’avais ce qu’il fallait où il fallait, un gardien décédé des suites de ses brûlures. J’ai été balloté comme un vieux mégot entre la poubelle noire et la poubelle jaune.
Ahhhh. Quelle vie !
Je compte bien pourrir la leur, désormais, et regarder les murs fondre d’eux-mêmes.