feat. OC de Unknown
Visage: Il s’observe dans le miroir. Ses pupilles, furtives, caressent l’arrête de cette face ovale aux traits communs. Ses menus doigts effleurent le creux de ses joues quand il soupire. Une lueur sérieuse trône toujours dans les deux joyaux d’agate. L’allégorie du professionnalisme se complait d’une esquisse ferme, droite, qui n’engendre aucune fossette. Elle est simple. Placide. Des lèvres fines surplombées par un nez qui l’est tout autant, droit, bien que légèrement retroussé à l’apex. Vient les agates, protégées par des lunettes sphériques qui lui donnent cette allure de maître du subjonctif imparfait. Il lèche son pouce et recoiffe ses sourcils, eux-mêmes fins, comme s’il s’agissait de l’adjectif qui décrirait son être : fin. Un corps fin, des lèvres fines, un nez fin, une personnalité fine, un esprit fin. Ugo est fin. À cette idée, sa pommette gauche se hausse : il a souri. Ses oreilles ne sont pas fines, cependant, il les trouve peu ou prou larges, sans doute trop, mais heureusement elles s’embusquent dans une chevelure épaisse.
Cheveux: Sa chevelure oui, une véritable guerre pour laquelle il a hissé le drapeau blanc à la première bataille. Il laisse les mèches brunes se prélasser sur son front quitte à ce qu’elles titillent ses yeux, glissées sous les lunettes. Il plisse alors le nez et ses cils papillonnent. Ses cheveux ne sont qu’un amas de mèches sans ordre, même s’il veille à les couper quand ils atteignent la base de sa nuque afin de garder une allure professionnelle. Que serait un maître du subjonctif imparfait avec une coupe altermondialiste ? Il s’interroge. Ce serait sale. La voix de sa mère résonne, mais il l’efface. Il glisse une mèche brune derrière son oreille. La couleur de ces épis oscillent entre le brun et l’ébène selon les lueurs.
Musculature: Une silhouette élancée, des épaules carrées, il ne semble pas être le garçon le mieux bâti. On pourrait le croire fluet, mais quand il retire son t-shirt, il dévoile un torse taillé à la lettre V, un ventre ferme bien qu’aucun abdominal n'y soit dessiné et des pectoraux légèrement bombés. Il s’agit de la seule zone qu’il a volontairement travaillé à des fins esthétiques : il a cherché à faire disparaître les vestiges d’une féminité non-désirée. Pour le reste, il n’est pas adepte de la musculation, mais plutôt de la course à pied : ainsi il présente des mollets proéminents, des cuisses fermes et une croupe musclée. Sa chair épousant à même le muscle, il paraît avoir des biceps, bien que ce soit plus une affaire de finesse que de muscle. Le creux de son bas-ventre est marqué, un lacis de poils brun liant son pubis à son nombril.
Allure générale: Un œil étranger dusse-t-il se poser sur lui, que verrait-il ? Une démarche nonchalante au paroxysme de l’adiaphorie. Son regard épouse les courbes de l’horizon sans les déceler, car il semble observer les fantômes du passé ou se perdre dans des réflexions latines : cogito ergo sum ? Quand les fantômes ont disparu, chassés par une interaction sociale, ses pupilles plongent dans celles de son locuteur. Elles ne vacillent pas, elles paraissaient elles-mêmes déterminées, elles analysent autant qu’elles dévorent. Il met parfois ses interlocuteurs dans l’embarras avec ses agates perçantes, son esquisse placide, ses sourcils qui oscillent à chaque lexème. Il est difficile à percer et l’œil étranger en est rarement capable.
Seulement, un œil envieux dusse-t-il se poser sur lui, que verrait-il ? Aussitôt que l’on s’intéresse à lui, ses joues se teintent de nuances rosées, ses agates se dispersent au moindre détail accrocheur et le voilà sur la dilettante des relations humaines alors qu’il se doit de les maîtriser. Il tortille nerveusement ses doigts et oscille d’une jambe à l’autre. Sa confiance paraît s’effondrer au contact affectueux.
Détails sur la tenue: En tant que psychologue, nombreuses tenues pourraient convenir du temps qu’elles ne sont pas extravagantes. Ainsi, il opte généralement pour des jeans larges, des baskets immaculées et des chemises impeccables : tantôt unies, tantôt à motifs floraux, tantôt à carreaux. Il voue une adoration presque paraphilique aux chemises. Généralement, il retrousse ses manches jusqu’aux coudes.
Signes distinctifs: Ugo est un individu lambda, de ceux qu’on ne remarque pas dans une foule, de ceux qui trébuchent dans les escaliers des bibliothèques sans provoquer de rire, il est invisible. Les seuls détails qui lui donne une teinte différente des autres sont un amas de nævus sur son flanc droit et une pieuvre dont les tentacules descendent vers son pubis située sur son flanc gauche.
Autres: Il cache un secret. Chaque être humain embusque derrière sa pelure, qu'elle soit de chair ou de textile, un secret. Quand un index trace le creux de son bas-ventre, s'immisçant entre ses cuisses, là, la virilité lui fait défaut. L'érection ne dépasse pas cinq petit centimètres et il ne s'agit que d'un modèle féminin gonflé à la testostérone. Fâcheusement, malgré sa verve, une verge lui manque.
...
2569, une colonie proche de la Lune. Entre chien et loup, ils s’amusaient ensemble : deux petites têtes brunes qui s’envoyaient un ballon rond. L’une avait de longs cheveux encadrant un visage ovale bien qu’aux joues rondelettes propre à l’âge tendre ; l’autre avait des épis en bataille trônant sur un visage émacié aux joues creusées par la faim. Le square était vide, l’astre lunaire factice élevé dans le ciel factice éclairait cette amitié sincère. Les rires résonnaient, eux-seuls brisaient l’accalmie des lieux, des éclats d’allégresse enfantine jetée à la gueule de la pauvreté qui les entourait. « Et but ! » s’écria le petit garçon vêtu de fripes souillés par la crasse. Le ballon avait filé entre les deux vestes posées au sol à quelques mètres d’écart.
« — Tu es trop rapide pour moi, haletait la petite fille dont la robe impeccable lui donnait l’allure d’un diamant perdu dans les déchets. Mes parents vont bientôt arriver, enfin, je pense. Papa est toujours en retard de toute manière.
Il y eut un lourd silence. Les pupilles fuyaient pour se perdre dans l’horizon.
— Tu vas me manquer, tu sais ? J’aimerai tellement pouvoir venir te voir sur Terre Nao.
— Je sais, mais je reviendrai bientôt, promis Will. Mon père fait souvent affaire ici. Tu… vas… t’en sortir ? Je veux dire, je sais que ta vie n’est pas aussi… faci… »
Une quinte de toux l’interrompit, le petit garçon sentit sa poitrine se soulever alors que ces poumons le brûlaient, la douleur irradiant son torse jusqu’à atteindre son plexus solaire. Il tomba à genoux et Naomie vint à son chevet. Les froufrous de sa robe traînaient dans la poussière alors qu’elle le prenait dans ses bras. Les larmes se pressèrent derrière ses paupières, mais sans les franchir : pour Will, elle se devait d’être forte. « Je t’aime. » Elle l’avait murmuré, humant l’odeur de transpiration et de cambouis qu’il traînait toujours avec lui. « Je t’aime aussi, Nao. » parvint-il à articuler entre deux inspirations.
Les phares d’une voiture de sport caressèrent les deux corps blottit l’un contre l’autre dans la poussière du square. Une silhouette s’en extirpa, se tenant immobile dans l’obscurité quelques instants, observant le curieux couple, le chien et la louve, qui se tenait là. Aucun d’eux n’osa se mouvoir, immuables ils semblaient figer dans leur passion, craignant d’être découvert. « Naomie, dépêche-toi, on rentre. La navette part dans une heure. » L’ordre avait claqué d’une voix rauque, brisant le silence comme cette amitié. Les fines et douces lèvres embrassèrent la peau rugueuse d’une joue puis elle disparut, avalée par le véhicule, abandonnant son William à son destin.
Le front appuyé contre la vitre arrière, elle regardait les lueurs de la ville danser dans un amas de couleurs chatoyantes. « — Je n’aime pas que tu voies ce garçon Naomie, se plaignit une voix féminine.
— Mais Maman, c’est mon ami ! Puis quand Papa a des affaires à régler ici, vous m’abandonnez toujours, alors je n’ai que ça à faire.
— Ton père a beaucoup de travail en ce moment : plein de nouveaux bâtiments sont créés ici, puis tu as plein d’amis sur Terre, beaucoup plus fréquentable.
— Will est fréquentable ! D’ailleurs…
Un lourd soupir s’éluda des lèvres de la mère qui, agacée, roulait ses yeux vers le ciel.
— D’ailleurs, j’aimerai qu’on l’aide ! Il est malade et il a peu d’argent. Vous, vous avez plein d’argent ! On pourrait lui en donner un peu, juste pour qu’il se soigne… non ?
— Hors de question, on ne balance pas l’argent par les fenêtres comme ça ! Ce n’est pas notre faute s’il est né pauvre. Tu t’imagines, si nous devions aider tous les pauvres ? Ce n’est pas possible ma chérie. »
Cette fois-ci, les larmes franchirent les paupières, roulant sur les joues en laissant des sillons humides qui brillaient aux lueurs des néons de la ville.
2571, une colonie proche de la Lune. Elle jouait des coudes et des mains pour se faufiler dans l’hôpital, esquivant les blouses blanches qui tournoyaient autour d’elle comme un ballet de spectres annonçant la mort. Les larmes ruisselaient, encore, quand elle parvint à la chambre 207B. Will était là, le visage pâle, les yeux clos, accompagné par un bip sonore régulier. La mère du jeune homme était prostré dans un coin, sanglotant silencieusement. Elle se jeta sur le lit, saisissant une des mains de son meilleur ami entre les siennes. Ses larmes quittèrent l’arrête de sa mâchoire pour se mourir dans les draps, goulument avalé par le tissu elles semblaient n’avoir jamais existées. « Will… je t’en supplie, parle-moi. » Sa voix n’était qu’un murmure froid et sans espoir. Elle avait déjà croisé le visage de la mort, celui qui avait accompagné nombreux malades dans les hôpitaux terriens auxquels son père offrait parfois des dons. Le même tableau se dépeignait-là : l’odeur du désinfectant chatouillait ses narines, le bip incessant se tarissait, les sanglots entonnaient les prémisses de la mort et les corps étaient froids, sans vie.
Les minutes s’égrainèrent jusqu’à devenir des heures, jusqu’à que ses pensées se teintent d’extraordinaires alors qu’elle cédait aux bras de Morphée. Elle s’endormit et dans ce sommeil, elle accompagnait William aux portes des limbes. À son réveil, on l’avait déplacé sur le fauteuil, le bip avait cessé, elle était seule dans une pièce vide. Sans corps, sans âme, sans mère, sans fils, juste avec les vestiges de la mort, avec les regrets, les remords. Le chagrin modèle l’humain, il le dessine, lui donne sa nature et sa culture. Ugo est né.
2578, dans une grande ville états-unienne, Terre.Monsieur Butler était assis au bord du lit, observant cette spacieuse chambre d’adolescent : son regard s’attardait sur l’amas de livre à côté du lit, partagé entre littérature classique, essais sur l’humain et roman d’horreur. Il quitta ce premier détail pour s’attarder aux poster qui ornait les murs : des auteurs célèbres, des paysages dévastées, de l’art en nuances de gris. Ses pupilles cessèrent de fuir, acceptant la réalité quand elles croisèrent celle de Naomie, appuyée contre le mur, qui toisait son géniteur avec défiance. Sa petite fille avait bien changé : des cheveux courts en bataille, un jean large déchiré et délavé, une chemise masculine carrelée de rouge. Il pinça les lèvres.
« — Tu as insisté pour qu’on parle seuls. Je t’en prie Naomie, dis-moi tout lâcha-t-il finalement, les bras croisés sur le torse.
— Je ne veux plus que tu m’appelles Naomie. Je veux changer de sexe, Papa.
L’annonce avait tonné et le silence s’en suivit. Les paupières de Monsieur Butler s’écarquillèrent alors qu’il se leva brusquement, écrasant un essai sur la révolution sexuelle au passage.
— Qu’est-ce que c’est que ces conneries ?! s’exclama-t-il avant de marquer une pause. Ces lèvres s’entrouvrirent, mais aucun son n’en sortit. Il avait la gorge nouée. Second essai : Je t’ai toujours… trouvé un peu étrange. Tu as peu d’amis, soit, tu préfères les livres aux interactions humaines, soit, tu es… tu ne sembles pas bien dans ta tête, pas comme les autres adolescentes de ton âge. Les filles de mes amis te trouvent… bizarre, mais ça… ça… Naomie ! Bon sang… Ce n’est pas une décision à prendre à la légère et…
— J’y réfléchis depuis plus d’un an. Je suis allée voir une psychologue, elle m’a fait passer des tests, tout est acceptable. Je n’ai plus qu’à être traitée. Cela coûte cher cependant, aussi j’ai l’espoir que tu me comprennes et que tu acceptes cette démarche.
L’homme s’écroula sur le lit, prenant sa tête entre ses mains, les coudes posés sur ses genoux. Soudainement, il semblait avoir pris dix ans : un rictus de colère déformait son visage, l’agrémentant de rides creusées, quant à ses yeux, ils étaient cernés et pochés.
— Naomie… réf…
— Ce serait… Ugo, maintenant, si tu le permets. U-G-O.
— Ug… Putain… Il va me falloir du temps. Il va me falloir du temps. »
Il pensait à son deuxième enfant, son véritable fils, il avait trois ans maintenant et il allait grandir auprès d’une sœur qui deviendrait un frère, d’une Naomie qui deviendrait un Ugo. Il pensait à sa société, il se targuait auprès de ses collègues qu’il léguerait cette puissance immobilière à sa fille, mais, maintenant, il devrait dire qu’il la léguerait à son fils ? Comment le persévéraient-ils ? Muet, il quitta la pièce.
2580, dans une grande ville états-unienne, Terre.« Tu ne peux pas faire ça ! Tu es censé apprendre le métier auprès de moi, Ugo, tu ne peux pas t’en aller ! » Il fulminait, son visage teinté de rouge et ses tendons saillants tant il criait à s’en déformer la gorge. Leurs pupilles se croisèrent : toujours ce même regard, l’allégorie de la déception, un subtil mélange de rancœur et de tristesse, peut-être une once de honte. Aujourd’hui, c’était un jeune homme qui lui faisait face, bras croisés, nonchalamment appuyé contre l’embrasure de la porte. Ugo embusquait ses émotions derrière une esquisse placide, une moue ferme, des agates sans lueur, mais il était mortifié. Le voile noir de la culpabilité recouvrait son cœur jusqu’à l’enserrer douloureusement. Cet être qu’était son père, cet être qui portait plus d’importance au travail qu’à la famille, à la richesse qu’à l’égalité, aux mœurs qu’au bonheur, cet être qu’elle aurait jugé de détestable, il l’aimait. Syndrome œdipien, unique modèle masculin, proximité naturelle des sexes, des tas de théories justifiaient cet attachement, mais il se répugnait à le vivre. Pourtant, ce regard, ce regard le tuait.
« — Papa… Mh. Tel est ton choix d’être matérialiste, de courir après l’argent, d’écraser les autres pour obtenir ce que tu désires, mais ce n’est pas mon cas.
— Je ne suis pas matérialiste ! Je… je travaille pour vous ! Pour vous léguer un bel héritage ! Pour que vous viviez dans le bonheur, en pleine santé, pour payer tes hormones à la con et ton ablation des seins ! Tu es… Tu ne te rends pas compte.
Il y eut un rire nerveux.
— Quand je t’ai demandé un peu d’argent pour Will, tu as refusé. Il est mort. Pourtant, tu as donné à des tas d’hôpitaux, et pourquoi ? Pour être sur les écrans, dans les médias, pour être le chef d’entreprise idéal avec qui d’autres entreprises voudront travailler. Tu construis de plus en plus de bâtiments, d’immeubles, d’appartements réduits avec le strict minimum, tu entasses les pauvres gens les uns sur les autres dans des colonies miteuses où ils se meurent quand… Quand on vole l’air des plus démunis sur Terre, les laissant crever dans des régions inhabitables. Avec tout l’argent que tu as amassé, là, tu pourrais faire mieux. Je veux faire mieux. Alors je pars. Je pars en mission humanitaire dans le sud. Que tu le veuilles ou non, je pars. Je ne veux pas vivre comme toi. J’ai déjà écopé de ton caractère, je ne veux pas en plus pâtir de tes valeurs de merde.
— Salope. »
Les mots avaient franchi les lèvres sans que la pensée n’ait de contrôle. Ugo bascula son énorme sac-à-dos sur ses épaules sans que son visage ne trahisse aucune expression. Il était de la même race que son père, maintenant, de ceux qui ne partagent pas leurs sentiments, qui ne parlent pas, de ceux qui débordent de virilité car les émotions sont faiblesses. Sans plus un son, si ce n’est celui de ses bottes sur le carrelage, il quitta la demeure, le cœur au bord de la lippe.
2580, Amérique du Sud, Terre. Les bâtiments étaient archaïques, de nuances de gris, comme si leurs apparences témoignaient de l’horreur qui s’y déroulaient. Ugo y pénétrait en portant une caisse de plateaux repas douteux, mais au moins, il s’agissait de nourriture. L’odeur y était nauséabonde : un mélange de transpiration, de sang et de maladie régnait dans l’atmosphère. Des lits étaient superposés sur plusieurs rangées, abritant des malades aux membres amputés ou incapables de respirer, une grande variété d’êtres aux portes de la mort qu’il tâchait d’aider. Il distribua les repas à ceux qui pouvait se nourrir seuls puis se mit au chevet des cas les plus délicats. Un vieil homme était là, il luttait de toutes ses forces contre une maladie engendrée par la pollution qui dévorait ses poumons, peu à peu. Le jeune l’homme l’appréciait : il débordait de cette bonté propre aux saints. Il saisit un tabouret et s’approcha du malade, caressant sa joue avec délicatesse pour le réveiller.
« — Robby, il faut manger. »
Ses paupières papillonnèrent pour rétablir une vision nébuleuse alors qu’il se redressait avec difficulté, ses muscles gémissants à chaque mouvement.
— Ugo, mon petit. Merci. Merci d’être là. »
Il lui sourit, ouvrit le plateau et porta le grumeau à la bouche sèche du malade. Quelques gouttes ruisselèrent le long de son menton, il avait du mal à avaler convenablement. Il fallut près d’une heure pour que le repas soit terminé et Ugo le quitta, un pincement au cœur. L’horreur était chaque jour plus difficile à supporter bien que paradoxalement, l’insensibilité à celle-ci le gagnait.
2582, dans une grande ville états-unienne, Terre.Après deux ans à aider les populations indigentes, à arpenter des territoires détruits par les catastrophes climatiques, hantés par la pollution, régit par la pauvreté et la mort, il battait le pavé nu de sa ville natale, le soleil cuisant sa peau et l’air pur emplissant ses poumons. Le campus universitaire était verdâtre et fleuri, égayés par les rires d’étudiants nonchalants, le silence des âmes solitaires qui s’attelait à l’écriture ou au dessin au milieu des espaces publiques. Une légère anxiété rythmait son cœur qui s’agitait dans sa poitrine si fortement qu’il semblait vouloir s’en arracher. Il parvint finalement à trouver le bâtiment où avait lieu ses cours et y pénétra, prenant place sur un banc dans le vaste amphithéâtre au milieu de centaines d’inconnus.
Après deux ans à aider les populations indigentes, il s’apprêtait à offrir cinq ans aux études, cinq ans à enculer des mouches sur les bancs de la faculté pour obtenir un diplôme en psychologie qui lui permettrait d’aider les autres tout en bénéficiant d’un salaire convenable. La psychologie était un domaine qui le fascinait car l’humain le fascinait, cette créature complexe capable de la pire cruauté comme d’une bonté inimaginable. Ses pupilles balayèrent la salle d’un regard perçant : il guetta les visages, souvent juvéniles, encore enfantins, de ces visages qui n’ont pas connu l’horreur de la réalité. Des visages d’enfants issus de familles riches, nobles, des visages ingénus, vivant dans le mensonge. Il pinça ses lèvres. Il haïssait ses personnages là plus que les criminels eux-mêmes.
2587, dans une grande ville états-unienne, Terre.Un vulgaire document informatique lui permettait maintenant de commencer sa vie, réellement, d’aider les autres, réellement, d’entamer des projets, réellement, de partir pour Rikers SJP. Un escadron de frissons parcourut son échine jusqu’à hérisser le duvet de sa nuque : cette décision lui plaisait, mais l’effrayait. La sonnerie de son téléphone retentit, une douce musique classique qu’il appréciait. Il décrocha.
« — Salut M’man.
— Félicitations pour ton diplôme !
— Haha, merci. Vous allez bien ?
— Ton petit-frère et moi nous nous portons bien ! Quant à ton père, tu le connais… Enfin, parle-moi plutôt de toi ? Que comptes-tu faire, maintenant ?
— Je vais me faire un peu d’expérience pendant deux ans, puis je partirai pour une des prisons issues du projet de la SEDNA Corps. Tu sais, ces prisons situées dans des stations très éloignées ?
— Mais… mais pourquoi ? Ce sont des prisons pour hommes et tu n’es pas allé au bout de… Tu vois…
— Ce n’est pas ma faute si Papa a décidé d’arrêter de me financer. Puis mon petit boulot à la librairie payait les factures, mais pas… l’opération. C’est coûteux.
— Et ce que je te donnais discrètement, ça n’a pas suffi ?
— Non. Mais t’inquiète. Ce sont des milieux durs, mais il n’y a aucune raison que quelqu’un sache ce qu’il se passe dans mon caleçon. Pour le reste, mon choix est fait. Tu sais que je veux aider les gens, m’man. Je ne pourrai pas… trouver un meilleur emploi que là-bas.
— Ce sont des criminels !
— Papa est un criminel. La notion de crime est propre à chacun, comme les valeurs morales, alors je jugerai moi…
— Tu me fatigues avec tes discours philosophiques.
— Je ne te demande pas de comprendre. Enfin, si un jour tu me cherches, tu sauras où je suis. Je tâcherai de vous écrire, mais ne t’inquiète pas, tout se passera bien. »
— Si tu le dis… Ton père va bientôt rentrer. Je t’embrasse ma… mon chéri. Bon courage.
— Je t’embrasse M’man. »
2589, dans une navette direction la Lune. L’accalmie baignait la navette. Certains passagers dormaient, d’autres écoutaient de la musique, d’autres perdaient leurs regards dans le vague, mais aucun ne parlait. Le silence était des plus agréables, mais Ugo le brisa. Un carnet appuyé sur ses jambes croisées, il commença à écrire :
Il est connu que l’être humain est formé par ses expériences, par son passé. Les premières années d’une vie, les premiers modèles, les premières peurs, les premiers traumatismes, que d’évènement qui construisent une personnalité. La mienne s’est construite à la mort de William, des disputes avec mon paternel, du seul modèle masculin qu’il a été. J’ai connu l’horreur en mission humanitaire, j’ai connu la mort, la maladie, j’ai fait face à des tableaux qui n’étaient qu’hypotyposes de l’Enfer. Maintenant, j’écris ces mots alors que je m’apprête à affronter un nouvel enfer, de nouveaux démons, de nouveaux humains à aider. Alors, cher Ugo du futur, rappelle-toi comment tu étais avant d’arriver et quoi que tu affrontes, qui que tu affrontes, ne change pas. Je pense que tu es une personne de bon cœur.