"Moi j'en ai plein le cul de subir ce putain
de système tous les jours comme un connard !"
- La Haine
Maman chante
Sa mère, encore saoule au milieu du salon. Il est 4h du mat', Miguel n'est qu'un petit garçon. Et pourtant il la porte jusqu'au canapé, il la déchausse, la recouvre. Trop jeune pour porter ce poids, il n'a pour autant aucune envie d'un énième père pour le remplacer. Ils passent. Toutes les semaines un différent, parfois quelques mois, rarement une année. Et le petit garçon subit, ça semble cliché, mais il est là sans avoir été souhaité. Sa mère, elle est comme ça. Elle vit à cent à l'heure, elle aime s'exposer, elle rit et même qu'elle pleure. Elle est belle. Dans les yeux du gamin, ça devient banal, et chaque matin, il est là pour la porter.
Second souffle
Mizar, de toute façon c'est qu'un p'tit con. Assez con pour un nom pareil. Miguel n'est pas d'accord avec ce qu'il raconte et il n'apprécie pas qu'on critique ses fringues et encore moins sa mère. Alors il cogne. Il cogne jusqu'à avoir mal aux doigts, au poignet puis au bras. Lorsqu'un enseignant arrive, c'est déjà trop tard, or dans ce genre de quartier ce n'est pas rare. Miguel est renvoyé et placé dans un internat. Il a l'étrange impression d'enfin respirer. Ici, ce nouveau père n'y est pas. Il prie pour qu'on ne vienne pas le récupérer, mais il se sent une énième fois abandonné.
Grandir, c'est oser dire j't'emmerde
Il a la rage lorsqu'il regarde la Terre. Et il les voit, ces putains de bourgeois, les pieds dans l'herbe et sous le poids d'une autre gravité. Il imagine alors. Il les envie, puis il les déteste. Aujourd'hui en histoire on a parlé du sujet, et ça l'a fait chier. Pourquoi son ciel a lui est-il couvert ? Pourquoi ses frontières sont-elles brutales ? Ici, ça pue le chien et le métal rouillé. Il s'imagine être un point lumineux vu d'en bas. Et ça doit être beau hein ? Une étoile qui pue la merde et qu'on éloigne bien assez. La regarder de loin et en même temps l'ignorer.
Il les emmerde, ceux d'en bas.
Alors c'est ça que Dieu fait ?
Dieu fait parti de sa vie, car on en parle autour de lui. On dit qu'il est là pour lui et qu'il va l'aider à trouver sa voie. Alors le jour où Miguel commence à se faire de vrais amis, et qu'il se rapproche de la famille de Davi son acolyte à l'internat, il se dit que rien n'est impossible. Il se sent moins seul quand il rejoins sa fratrie, qu'il apprend à connaître ses deux frères et sa sœur. Mais un jour une bagarre et Davi tombe du toit. Miguel est là pour le voir, et un de ses frère aîné aussi. Alors, Miguel ne croit plus en rien. Rien qui ne concerne que lui. Désormais le monde lui semble immensément grand, et lui si petit, pour une colère qui le trahit, prend tout ce qu'elle peut dévorer et gonfle à l'échelle des tares de la société. Il se sait seul désormais. Il s'en fout. Il s'en fout de tout quitte à crever.
La bête que j'ai dans le torse me tord les entrailles
Sa bouche est une arme quand il flingue les théories de ses professeurs. Ses poings sont des cris quand ils frappent les casiers et les autres ratés. L'école, ce n'était pas fait pour lui. Ensuite, rentrer à la maison, c'était loin d'être la solution. Pourtant il essaie, quelques mois à peine avant qu'adolescent il se fasse adopté par la rue. Il s'y fait. Il apprécie, car ça lui donne un sentiment de liberté. C'est là qu'il apprend, qu'il comprend plus ou moins cette vie. Elle lui semble plus facile à cueillir quand elle se montre honnête, et ainsi il la comprend dans ses défauts et ses faiblesses. Il la veut sincère. Et de squat en squat, il se pose avec ceux qu'il ne croit pas être des amis. Les amis, ils se feront dans le temps. Il y en a qui se forgent, qui envahissent de plus en plus son environnement au fur et à mesure qu'il sait comment les prendre, les appréhender et les pardonner. Puis entre temps on lui dit qu'il faut travailler, alors naïf il va bosser. Or, chaque ordre le fait vriller. Il abandonne, il s'en va frauder, voler, agresser ces patrons qu'il a si bien envoyé chier. Puis on lui dit qu'il doit rejoindre un gang, que ce sera plus simple. Il refuse. Les ordres le font vriller.
Parce qu'il y a toujours cette bête qui fait sa place à chaque fois qu'il grandit.
Lèche mon sang, il a le goût des étoiles
Il sort des chiottes de ce bar, et il y a ce mec au comptoir qui a le visage masqué. Son chien renifle ses bottes, mais le gars n'a pas l'air de l'avoir remarqué. Il a le flair son clebs, c'est probablement pour ça que Miguel l'aime autant, comme tous les chiens d'ailleurs. Et celui qui se tient comme un con au comptoir sans pouvoir boire, il va le voir. Il le nargue. Oui, il le lui dit qu'il est con. Puis plus tard il l'invite. Il le tient. Ce regard il l'a accroché. Ainsi Ares rencontre Jaaziel. Sur ce comptoir, sans pouvoir boire.
Jaaziel
Quand il se croit adulte, il se fait appeler Jaaziel. Mais Jaaziel c'est qu'un crétin qui domine dans les braquages et qui ne fout rien de ses journées. La tune, il en fait rien. Il nourrit ses chiens. Il traîne devant les supermarchés. Il lui arrive de se droguer, juste pour fuir un instant et pour pouvoir s'oublier. Mais il en a trop vu pour plonger. C'est comme pour ces gangs. Il fonce, mais il a conscience du chemin vers lequel tracer, parce que seul lui-même peut se détruire, sans l'aide d'autrui, jamais. Son addiction à lui c'est l'adrénaline de sa colère. Les ressentiments dans lesquels ils s'enfoncent, son manque de respect envers lui-même et ceux qui ont l'affront de l'aimer. Jaaziel s'en prend à ceux qui ont tout. L'argent. Les sentiments. Et pour se faire pardonner il vole aux plus riches pour donner aux pauvres. L'argent il s'en fiche. Il gueule dans la rue. Il s'insurge, il fait de la politique. Ses convictions c'est tout ce qui lui reste, tout ce qui lui alimente l'esprit.
Un jour il se fait attraper parce qu'il en a trop fait. Trois années de prison sur sa colonie. Il s'y fait.
Petit frère
On ne sait pas comment, mais le bébé est en bonne santé. Il est robuste parce qu'il a su surmonter les addictions de sa génitrice. C'est comme ça qu'il l’appellera sans doute, plus tard, quand celle-ci crèvera de son alcoolisme alors qu'il apprenait à peine à marcher. Le gamin reste sous la garde de son père et Miguel fait de son mieux pour venir le voir en supportant ce dernier. Il veut le lui enlever, mais le jour où il vient le chercher le petit n'est plus là. Il est placé, de familles d'accueil en familles d'accueil. Miguel se dit que c'est probablement mieux ainsi.
Tu brûleras en enfer
Il y a encore cette lueur sous le verre. La lumière est éteinte, ou plutôt elle s'efface. Jaaziel fixe le plafond de la chambre d'hôtel et il pense à quel point il est fatigué. Il y a cet autre corps qui se meut à ses côtés. La fumée d'une clope partagée. La lueur rosée par la fenêtre qui dessine leur nudité. Sa cuisse encore sévèrement marquée par les flammes d'un incendie semble plus lisse ici. Il y a quelques semaines déjà, une explosion dans un bâtiment délabré avait failli lui coûter la vie. Ares, présent ce jour là, était resté. En bon chien, il ne l'avait pas laissé.
Ce soir, Jaaziel veut changer. Ares veut encore l'aider, et après tout ce qu'ils ont traversé il veut lui promettre qu'ils vont fuir ce nouvel enfer ensemble. Avancer. Éteindre cet incendie qui les emprisonne depuis des années, à peine éteint durant son absence en taule. Il se promet qu'il va leur donner les moyens de se casser. Un dernier braquage... allez.
Te quitter
Les sirènes rugissent, elles menacent, elles sont là. Ils sont foutus. Les otages n'étaient pas prévus, et pourtant ils se font encercler, leur plan a foiré. Jaaziel n'est plus que Miguel, il est démuni, il veut partir et s'en sortir. Ça ne devait pas se passer comme ça, d'ailleurs, ça ne se passait jamais comme ça. On les a balancés, c'est sur. Et quand les flics lancent l'assaut, ça panique. Quand le squad passe en mission suicide dans l'espoir de sauver des vies, ça fuse, ça éclate. Ça n'aurait pas dû être ça. Les victimes ne viennent pas de lui, mais de la peur de voir tous ses rêves s'envoler. Et au milieu du massacre, Miguel se fait attraper. Les mains dans le dos, on le neutralise. Il aura au moins eu l'un d'entre eux. Des siens, eux ils en auront eu deux.
Son jugement sera moins virulent parce qu'il aura blessé, mais tué personne. On l'accuse néanmoins de tout ce qu'il a fait, sans le dire, manque de preuves pour cette vie de dégénéré. Puisqu'on ne peut le condamner pour tous les autres délits dont il est le fier créateur, on l'envoie directement à Rikers, là où on se débarrasse des ratés comme lui.
Cœur en chien. Loco.
Loco, c’est comme ça qu’il se fait appeler, mais ce visage il le connaît. Le frère de Davi. Alors Miguel lui raconte tout, pour tout ce qu’ils ont partagé. Ils font partie de la même fratrie malgré les années. Et les années passent justement et sans s’en rendre compte Miguel obéit. L’âge lui donne plus de docilité ou peut-être l’affection qu’il a pour ce frère qui lui promet de le protéger et que lui-même veut couver. Jaaziel est derrière lui et Miguel retrouve sa famille. Fidèle bras droit de ce gang basé sur les mêmes ressentiments que lui, de ce jour où Davi est tombé de ce toit.