Qualités: difficile à dire ; Rikers n'est pas un endroit propice à faire ressortir les bons côtés d'Isaàc. Ici, ses qualités sont plutôt froides - observateur, prudent, silencieux. Ares n'est pas doué qu'au poker - en général, il sait bien jouer ses cartes. Il se mêle de ce qui le regarde, reste sur le banc de touche. Mais si les problèmes viennent à lui...
Défauts: probablement les mêmes que ses qualités, dépendamment de qui les juge ; observateur, prudent, silencieux, se mêle de ce qui le regarde. Quand vous serez dans le besoin, Ares ne sera probablement pas celui qui vous tendra la main. Rien de personnel. Seulement, Ares a appris très tôt à se détacher de certaines situations, un mécanisme de défense tenace le cloîtrant derrière un mur de pierres épaisses...
Orientation sexuelle: indicible.
Comment gère-t-il l'hostilité? il s'efface. S'emmure, s'ensilence, en attendant que s'éloigne l'orage. Qu'il gronde et s'apaise, sans le toucher. Mais si l'hostilité mute vers une violence directe, Ares a la détente rapide, imprévue, et incontrôlée.
Que pense-t-il de l'écart de privilèges entre les colonies et les Terriens? haut-le-coeur. Vu la façon dont il a réagi la première (et dernière) fois qu'il a mis les pieds sur Terre, on pourrait dire que cet écart est tout simplement
intolérable.
Quel est son plus grand rêve? les rêves, ce n'est pas pour tout le monde.
Quel est son pire cauchemar? le vide. Le vide immense, insondable, celui qui t'habite, toi et lui.
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Tu l’as vu t’as pensé
punk, tu l’as regardé t’as pensé
marero, mais tu l’as pas entendu parler alors tu l’as perdu - c’est là qu’il est, Ares, dans ce mouvement de tête qui se détourne, dans la chose qui s’éloigne. Le monde tourne en sens inverse, c'est une ronde immense qui l'échappe, qui l'oublie, et lui, sans avoir demandé à s'y soustraire, se plaît aussi à ne pas lui rappeler qu'il existe.
Il tombe, le dos sur le fer. Sa vie est une bombe sur laquelle il a bâti, et simplement, entre deux tic-tac du détonateur, il y a parfois un vertige infiniment long qui l'attire vers ses profondeurs. Il s'y laisse prendre pour s'échapper de tout. Jusqu'à ce qu'il n'arrive plus à se convaincre - se convaincre d’être capable de passer outre ce tout,
all and all, que le Grand Cri sans cesse ravalé lui distende le coeur, qu'il lui faut vivre, après rien et vers rien, qu'il lui faut faire cela et qu'il faut qu'on le lui reconnaisse, qu'on le constate, lui, Ares, dissimulé, mais pas invisible. Muet, mais pas silencieux. Qu'on le devine, pour qu'il puisse exploser,
Isaàc, deberías hablar un poco más.
Tu l’as vu encore, vu ne rien faire, t’as pensé
sang-froid ou peut-être
what an asshole parce que ça se détache intégralement, complètement, totalement de la souffrance des autres, de la tienne, ça a les yeux ouvert, comme toi, sauf que lui, il ne voit pas. Ares tangue. Entre lâcheté et révolte. Et pendant qu’il trouve la balance, une béance le happe ; celle qui le paralyse, qui fait de lui un élément absolument passif. Il est tétanisé. Jusqu’à ce que ça vrille, et ça, tu sais jamais quand ça va venir. Lui non plus. Sa colère est un coyote. Et le coyote a la patte prise dans un piège à ours.
Trop souvent il s'égare : c'est un angoissé bourré de démons, de lumière et de mauvais sang. Tempérament en schéma de cardiographe : longues phases de calmes plats, quelques hauts et bas violents - la bête libérée est une bête qui blesse.
Not a bad boy… but not a good one either.Parce qu'il faut pas oublier les coups de pute, une spécialité. Quand ils ont le dos tourné, quand ils pensent qu’ils l’ont maté. Mais c’est subit, même pour Ares - ça se prévoit pas. Ni ses mensonges, ni ses coups de poignard dans le dos. Il a l’allégeance fluide, son instinct prime sur ses envies. On le garde à sa place en lui faisant assez peur, peut-être, on le gardait mieux avant, à vrai dire, avant qu'il ne s'obscurcisse. Ares lutte sans réfléchir, crucifié dans ses propres élans de panique comme on cherche à prendre une bouffée d'oxygène sous l'eau, accélérant la noyade.
HoleBien évidemment, qu’il y a eu un
avant. Des parents, puis un jour on ne leur parle plus, ça se fait progressivement, nous oublions que nous ne sommes pas né de ce néant qu’on sent croître dans notre ventre, de cet immense vide qui gruge, vicieusement, sa place.
À Ares, il est préférable de ne pas lui demander de se souvenir, il est préférable de laisser la création des gouffres là où ils ont commencé. À cette époque, à ses dix-neufs ans, il ne portait pas encore ce nom.
Avant, c’était Isaàc - une identité en plein démembrement, Isaàc, ça ricoche, ça hoquète sur la double voyelle. Il n’a jamais aimé ce nom, de toute façon, Isaàc, parce qu’il trébuche, le scinde en deux. Mais il n’a pas davantage aimé les autres noms, après.
C’était à dix-neufs ans, alors, avec cet ami. Il y avait une émeute à bord, toute la colonie grondait, son ami cavalait devant, et lui derrière, ils hurlaient comme des loups, invincibles et immortels.
Ça va très vite. Un instant, ils courent vers la justice, la pourchasse. Ils ont le pouvoir de renverser le cours des choses. L’instant d’après, ils fuient les miliciens. Ça dégénère, ils ont peur, mais de cette peur qui excite, éveille leur sens de la rébellion. L’ami cri
mort aux vaches ! en tournant le coin du couloir,
puis il y a un claquement sec dans l’air.
L’officier tient longtemps les bras levés, les mains tremblantes sur la crosse de son 9mm, même lorsque le corps sans vie du garçon tombe aux pieds d’Isaàc. La balle. Ça a fait un trou, dans sa tête. Dans la tête d’Ares aussi, un autre type de trou. Un silence noyade. Et quand il retrouve l’ouïe à nouveau, c’est pour entendre les grondements du Chien. Celui lâché par la milice, à l’aveugle, oui, ici, tout le monde en perd ses sens, et surtout le seul qui compte réellement, le bon sens, le bon sens qui veuille qu’on n’abatte pas un gamin d’une balle dans le crâne et qu’on en laisse un autre se faire mutiler par un molosse.
Le chien vise la gorge, déchire le bras levé, détruit le visage. Les crocs de l’animal sur ses crocs à lui. Le cri de l’animal dans son cri à lui.
Et le trou dans la tête de son ami, le trou qui avale tout.
MaskC'est une longue convalescence. Isaàc croule dans la couleur blanche. Le blanc des draps, le blanc de sa douleur. Il ne se souvient plus exactement des personnes venant le voir. Mais ils sont plusieurs. Ils se nourrissent de la meurtrissure de son nouveau visage. Complaisante compassion, horreur curieuse.
On l'appelle Molares (molaires, en espagnol), pour parler de ses dents exposées, dans sa gueule déchirée. Ou peut-être est-ce qu’ils parlent des crocs de la bête, et pas des siens. Alors il trébuche une autre fois, se disloque, comme sa mâchoire, devient seulement Ares,
a God no one believe it exists anymore, la moitié de ce qui ne servait qu’à nommer ce qu’il a de détruit sur le visage, et plus creux, en dedans.
Ares n'arrive plus à respirer comme avant. Tout ce qu'il inspire semble s'échapper aussitôt par une fissure inconnue. Les médecins parlent d'un trouble
psychosomatique. La mère parle d'un démon. Ares ne parle pas.
Ils lui font un masque.
Sous la lourdeur du métal, il s'allège,
caché, puisant dans un oxygène filtré.
Ares, innocent, et donc impardonnable.
MiguelLa justice ne l'incriminera pas s'il coopère. On a peut-être pitié de lui, à sa sortie de l'hôpital, mais on ne veut pas perdre la face. Dans leurs bouches, ce n'est pas la milice qui a tué son ami ; ce sont les fomenteurs de cette révolte avortée, pour avoir semé le chaos en premier. Ares doit s'approcher d'un suspect, un certain Miguel Spence. Jaaziel qu'il se fait appeler. Ares n'aime pas Dan, le policier. Il lui fait froid dans le dos.
Souvent, le muselé retourne à l'endroit où est mort son ami. Il appuie l'arrière de sa tête contre le mur du couloir, où il croit sentir un léger renfoncement dans la tôle. Est-ce que le crâne de son ami aurait cogné ici, sous l'impact de la balle ?
Il traque Jaaziel. Le trouve si facilement qu'il se demande si ce n'est pas lui, l'animal imprudent, qui s'est avancé dans le collet sagement tendu.
Et puis c'est instantané.
Ce loup-là devient son point d'ignition.
Ça lui flambe la peau et l'esprit pendant deux ans, tous s'écarte, cet amour n'a pas de nom, il brûle d'une violence destructrice et s'étouffe dans un refoulement s'alimentant d'humeurs impossibles. Ares suit Jaaziel comme s'il était tous les points cardinaux à la fois, tremble quand il tremble, obéit sans que rien ne lui soit demandé et se révolte dans les sous-entendus.
Il n'aime pas les femmes. Mais il ne peut pas aimer les hommes non plus. Il ne peut pas aimer. Jaaziel non plus. Ils ne connaissent rien. Seulement les cris, les injures et les coups, quand, effarés, ils réalisent s'être un si court instant abandonné dans une tendresse inconcevable.
Ils sont nés pour ce monde, et ce monde n’a rien de beau et de doux.
Mais quand Jaaziel lui est retiré pour purger 4 ans de taule, Ares demeure pétrifié.
Il ne va pas le voir.
Il tente d'oublier.
De se secouer de cette grande nausée qui était devenue sa vie. Mais il ne vit pas. Il s’enterre, il n'attend rien. Il existe à peine, et sur le mode du dégoût. Du cynisme et de la fatigue.
Quand il ne dort pas, il joue au poker. Beaucoup. Il est bon, à ça. Il ment bien. Il ment constamment.
Mais il ne peut pas mentir à Miguel. Ares a 25 ans quand le loup sort de prison. Ça aussi, c'est un mensonge : il a 19 ans, encore, il n'a pas bougé, il n'a pas oublié, il est incapable d'avancer.
Ça résiste, quand Jaaziel lui met la main dessus. Puis ça s'épuise, ça flanche. Ares retombe dans son orbite, cette passion est démentielle. Il la dévore comme pour rattraper le temps perdu. Comme pour prévenir le manque à venir.
Ça dure quelques mois, sans ralentir, puis la saison des pluies s’achèvent drastiquement lorsque Jaaziel lui est arraché à nouveau. Mais cette fois, c'est pour de bon. Il s'en va à Rikers. Ares ne sait même pas ce qu’il a fait ; il ne veut pas le savoir.
Le deuxième départ de son amant finit de creuser ce que la famine avait entamé. Il plonge dans son très grand vide, celui qu'il colmatait seulement, avec la présence de Miguel.
Il ne veut plus jamais entendre ce nom.
DanDans l'année qui suit, Dan, un des policiers impliqué dans l'enquête inachevée contre Jaaziel, retrouve Ares. Où plutôt, Ares se laisse trouver. Approcher, prendre, toucher.
C'est peut-être pour se venger de Miguel. C'est peut-être pour l'effacer. C'est peut-être parce qu'il n'en a plus rien à foutre de rien. Non - à bien y réfléchir, Ares se donne à cet homme étrange avec une rancune froide et calculatrice. Dan lui voue un amour obsédant, déplacé, Dan fait pitié à Ares. Et avoir pitié d'un autre lui permet de ne pas avoir pitié de lui-même. Ares reste aux côtés du policier pour mieux le détester.
Et pendant quatre ans, il hait tout. Il est le blême reflet de cette personne, il le réalise désormais, qu'il a été. Il a existé. Maintenant, il se sent être la fumée, blanche et épaisse, s'échappant des braises de cet incendie qu'il tente d'éteindre. Il sait qu’il ne pourra pas vivre ainsi indéfiniment. Il attend d’être déchiré entièrement, avec une sorte de complaisance destructrice, de sarcasme indifférent.
Dan supplie,
parle-moi de toi, Ares ne parle pas, alors Dan embrasse le coin de ses paupières dans des gestes maladroits, et Ares ferme les yeux, se ferme complètement, fume, fume en silence, fume en espérant qu'un jour prochain, il se sera entièrement dissout. Mais Dan ne sait pas réellement être tendre. Il est une pastiche du drôle de petit fantasme qu’il se créer.
Dan torture, surtout. Il entre parfois dans des colères noires, humilie avec une sorte de désespoir violent, charrie Ares pour calmer ses insécurités. Ares n'est pas ému. Il riposte avec la même agressivité, l'oeil sombre, les lèvres closes. Ares aimerait qu’un jour Dan soit si hors de lui qu’il le tue.
Qu’il sorte son flingue de policier, qu’il le lui braque sur le front, et juste avant qu’il lui troue la tête, Ares pourrait sourire. Ce serait un sourire plein de crocs, sans chaleur, mortifiant de provocation haineuse.
parfois le visage de Miguel se superpose à celui de Dan
et Ares fige, dans un halètement silencieux,
il n’espère plus mourir, mais il espère quand même que ça s’arrête
Dan aime ça. Il aime l'acculer là, l'obliger à réagir enfin. Ares s'abruti dans cette traque infinie où il est là bête, et Dan l'amateur de sensations fortes. Dan aime se dire qu'il parvient à mater un ancien voyou. Le punk défiguré, l'ancienne pute à Miguel, cet homme qu'il a tant cherché à coffrer.
CardsPour
l'aider, Dan emmène Ares avec lui sur Terre. Il a été muté, a touché une prime faramineuse.
Il n'y a rien comme l'oxygène d'en bas, tu pourras enlever ton masque.Quelque chose dans la richesse de cette poignée de terriens bénis dont ne sait quel dieu injuste, imbus de privilèges dont la plupart sont inconscients, et dont d'autres se flattent, fait remonter en Ares, en Molares, en Isaàc, une rage primitive trouvant ici écho dans le berceau de cette laide humanité.
La chaleur du soleil sur sa peau, c'est comme mourir, c'est comme la bouche de Miguel, c'est comme atteindre enfin le point le plus creux de cette abysse volcanique qu'il trimballe dans son ventre depuis la naissance.
Puis il a une
pensée.
Rien ne peut freiner une pensée. Elle se distille dans toutes les fibres de votre être, elle ne naît jamais, mais tout simplement elle
est, comme vous, elle est vous, avant que vous ne sachiez qu'il ne puisse en être autrement, puisque tout ceci émane de votre tête, de votre chair, de votre folie.
C’est flou, comme raisonnement. Ça se passe de mots et de phrases bien faites. Mais ça dicte ses actions ; il fait tout avec un grand calme, avec un grand apaisement, même. Une nuit, il pille tout ce qu’il peut dans le superbe pécule de Dan. Assez pour, avec ses propres économies, se payer une entrée à l’une des plus grosses tables de poker de ce petit monde fermé, richissime, qu’est celui des terriens. On soupçonne sa présence, et plus on le dévisage avec circonspection, agressivité latente, plus Ares se sent sombrer dans une paix aussi puissante qu’instable. Il gagne les mains, coup sur coup. Jubile intérieurement à l’approche du danger, celui qui émane de ces aristocrates criminels le suspectant de tricher.
Ensuite, Ares serait bien en mal de vous dire comment ça s’est passé.
Il avait bu, plus que nécessaire. C’était peut-être ça, d’ailleurs, l’espèce de nuage chaud et réconfortant qu’il avait senti dans sa gorge, et sa tête, lorsque tout s’était mis à déraper, tel qu’anticipé. Des accusations, une rixte, Dan (le policier) qui débarque à la soirée (illégale), les coups de feu, le point culminant du chaos, puis le dédale judiciaire, l’impossiblité pour Dan de se positionner à la lumière du vrai monde, aussi incapable d’incriminer Ares que de le défendre.
Ares se souvient seulement qu’il avait mal à la mâchoire, lorsque la sentence a été déclamée à son encontre, en cour. Il regardait le visage blême de Dan. Et derrière son masque, il souriait. Un rictus fin, statique, glacé, là depuis si longtemps, maintenant, qu’il commençait à sentir, dans les muscles tendus de sa bouche demeurée muette tout le long de son arrestation, combien il lui en coûterait de s’être emmuré dans cette colère froide.
Ce n’est qu’après coup qu’il comprit le sens des mots qu’il avait entendu, trop occupé à flotter dans ce brouillard blanc le protégeant enfin de toutes les agressions extérieures, ou intérieures.
… L’accusé, Isaàc Santiago Hierra, reconnu coupable, purgera une peine de douze ans, sans possibilité de sursis, à Rikers Space Jail Processing.